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terça-feira, janeiro 23, 2007

 

MAIS UM TEXTO OPORTUNO DE ANDRÉ SCHIFFRIN

L'agent, l'éditeur et la dictature des "big books"

LE MONDE DES LIVRES 18.01.07

Au cours des derniers mois, la presse française s'est particulièrement intéressée au rôle des agents littéraires. Tout d'abord lorsqu'il s'est trouvé qu'un agent avait été partie prenante dans la négociation de l'à-valoir considérable versé par Hachette à Michel Houellebecq (celui-ci est censé avoir touché environ 1 million d'euros pour La Possibilité d'une île publié chez Fayard en 2005, NDLR). Ensuite, dans la discussion avec Gallimard à propos du livre de Jonathan Littell. Aussi l'entretien accordé par Andrew Wylie au "Monde des livres" (6 octobre 2006) aurait-il pu être utile. Il offre certainement une description flatteuse de l'image que ce dernier voudrait donner de lui-même. Hélas, je ne pense pas que qui que ce soit dans l'édition new-yorkaise puisse croire un seul instant à cette autoglorification.
Dans les dernières décennies, il y a eu d'excellents agents littéraires à New York. Des agents qui ont simultanément aidé les auteurs et les éditeurs à préserver les liens qui les unissent. Les éditeurs acceptaient de publier chaque nouvel ouvrage d'un auteur quelles que soient ses ventes potentielles. De leur côté, les auteurs et leurs agents acceptaient des à-valoir justifiés par ces ventes.
Le contrôle croissant des conglomérats sur l'édition a conduit nombre d'agents à changer leur manière de travailler. Notamment en mettant en avant cet argument : si les très gros éditeurs étaient d'abord intéressés par le profit, pourquoi les auteurs ne le seraient-ils pas ? Fi des vieilles formes de loyauté : les droits de chaque ouvrage devaient être offerts à qui en proposerait le meilleur prix. Résultat : un petit nombre d'auteurs se sont vu offrir des à-valoir de plus en plus élevés - des sommes qui souvent n'étaient pas couvertes par les ventes. Andrew Wylie a contribué à ce processus en amenant des auteurs littéraires comme Philip Roth - l'homme a en effet très bon goût, cela personne ne le nie - à quitter leur éditeur de toujours pour rejoindre le plus offrant.
La conséquence de cette façon d'agir a été extrêmement préjudiciable à la fois aux éditeurs et aux auteurs. La polarisation qui existait déjà entre les best-sellers et les autres titres s'est considérablement accrue. Toutes les grosses maisons se sont mises à dépendre des quelques livres qu'elles étaient susceptibles, sinon forcées, de surpayer. Ce qui signifie que leurs budgets se sont considérablement réduits ou du moins qu'il leur reste très peu d'argent pour tous les bons livres qui ne deviendront pas forcément des best-sellers. Les librairies croulent sous les livres achetés à grands frais au détriment des autres - même si, comme le souligne Wylie lui-même, une énorme avance ne garantit pas forcément un succès commercial. Les éditeurs les plus cyniques n'hésitent pas à laisser tomber un titre cher qui ne remplit pas ses promesses. Même les auteurs dont le succès n'est pas tout à fait à la hauteur de l'avance accordée deviennent soudain moins attrayants aux yeux des éditeurs, ce qui n'aurait pas été le cas si leurs exigences de départ avaient été moindres. Quant aux agents, eux aussi ont fini par se focaliser sur les "big books", montrant beaucoup moins d'intérêt pour les livres plus modestes et de qualité. Il est beaucoup plus facile de décider que le prochain Philip Roth vaudra très cher que d'essayer de découvrir ses successeurs potentiels. Et nombre d'éditeurs new-yorkais ont vu Andrew Wylie "débaucher" des auteurs en leur faisant miroiter de plus gros à-valoir mais qui n'ont pas eu d'impact sur le volume de leurs ventes.
L'exemple de Michel Houellebecq montre que cette manière de travailler gagne la France, même si, heureusement, il y a encore peu d'agents en France et moins encore d'agents souhaitant suivre la voie de Wylie. En l'occurrence, Hachette, le plus gros enchérisseur, a consenti une avance exceptionnellement élevée selon les standards français. L'acquisition des droits a été annoncée par Arnaud Lagardère lui-même et non par l'éditeur de Houellebecq. Comme on pouvait s'y attendre, les attentes, qui étaient fortes, furent déçues. L'auteur, qui est passé d'un éditeur à un autre, a certainement ressenti cette déception. Et désormais, si le modèle américain continue à s'appliquer, chacun de ses nouveaux livres devra être remis en jeu auprès de la collectivité des éditeurs, le problème étant que le nombre d'enchérisseurs potentiels est bien moindre à Paris qu'à New York.
Cela ne veut pas dire que les agents ne puissent pas utilement défendre les droits de leurs clients. Un agent "classique" comme Georges Borchardt - qui a représenté à New York un grand nombre de très bons auteurs français - se prévaut moins des avances obtenues que des ventes réalisées. Un exemple : à l'origine, une seule maison était preneuse de La Nuit d'Elie Wiesel, qui s'est vendu quelques centaines de dollars seulement. Aujourd'hui - et grâce notamment à son passage dans l'émission télévisée d'Oprah Winfrey - le livre a dépassé le million d'exemplaires vendus.
La controverse autour du contrat de Jonathan Littell montre également que les agents ont souvent tendance à se réserver les droits étrangers d'un auteur - et cela bien que, en Amérique comme en Angleterre, un éditeur ne touche que 20 % à 25 % sur une cession de droits à l'étranger, contre 50 % environ en France. L'avenir dira si les éditeurs français pourront continuer indéfiniment à prélever une part aussi disproportionnée sur les revenus des droits étrangers de leurs auteurs.
Globalement, en France comme aux Etats-Unis, les éditeurs affrontent les mêmes problèmes - des problèmes aggravés dans les deux pays par l'accent mis sur les best-sellers, avec comme conséquence les contraintes pesant sur les livres moins médiatisés et souvent plus intéressants. Comme j'ai tenté de le montrer dans Le Contrôle de la parole, les mutations du monde de l'édition sont encore amplifiées au niveau de la vente : les grandes surfaces, souvent encouragées par les éditeurs eux-mêmes, y réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires avec un petit nombre de best-sellers. En Amérique, où la loi Lang n'existe pas, la part de marché des librairies indépendantes n'est plus aujourd'hui que de 18 % à 19 %.
Ces déséquilibres seraient encore accentués si tous les Wylie du monde étaient amenés à jouer en France un rôle important. Réjouissons-nous cependant : pour l'instant du moins, cette difficulté supplémentaire ne semble pas clairement à l'ordre du jour.

André Schiffrin
est l'auteur de L'Edition sans éditeurs (La Fabrique, 1999) et Le Contrôle de la parole (La Fabrique, 2005). Son prochain ouvrage, Paris/New York, Aller/Retour paraîtra au printemps aux éditions Liana Levi.

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